Plus jeune Président de la Vème République, lors de son élection en 1974, Valéry Giscard d’Estaing incarne un centre droit libéral, réformateur et progressiste. Mort ce mercredi à l’âge de 94 ans, des suites du Covid-19, ce Chef d’Etat équivoque laisse derrière lui une architecture européenne et républicaine toujours établie, qu’il a contribué à façonner au siècle dernier.

Le combat de l’engagement

Né à Coblence en Allemagne, le 2 février 1926, Valéry Giscard d’Estaing grandit dans une famille bourgeoise, bien établie dans le giron de l’administration et de la politique française. Lycéen brillant, il étudie notamment à Janson-de-Sailly et Louis-le-Grand, à Paris, lors de l’Occupation. Après avoir décroché son double baccalauréat en philosophie et en mathématiques, il s’engage pour le pays ; en 1944, dans une situation confuse et troublée, il rejoint la Première armée française et part combattre sur les fronts allemands et autrichiens.

De ce premier combat, qui lui vaudra la Croix de guerre, Giscard garde une passion pour la « res publicae », la chose publique. Ainsi, dans cette perspective, intègre-t-il l’Ecole nationale d’administration en 1949 pour en sortir Inspecteur des finances. Progressivement, il évolue vers les plus hauts sommets de l’appareil de l’Etat. A 29 ans, il est nommé directeur adjoint du Cabinet d’Edgar Faure, alors Président du Conseil des ministres.

C’est avec les armes qu’il se donne et qu’il aiguise dans ce parcours administratif que Valéry Giscard d’Estaing, quittant Paris, se lance dans l’océan agité du monde politique. Il mène campagne dans le Puy-de-Dôme, terre électorale familiale, et est élu député aux élections législatives de 1956. Sur les bancs de l’Assemblée nationale, dans les houleux débats qui rythment la vie du Parlement, il est repéré par le Général de Gaulle. L’imposant Président, héros de la France libre, fait de ce novice un Secrétaire d’Etat aux fiances dès 1959.

Là encore, le costume semble trop petit pour Giscard, qui parvient à être nommé Ministre des finances et des affaires économiques en 1962. Ministre régalien et incontournable du Gouvernement Pompidou, son ambition s’accroît semaines après semaines : pour être plus visible et mieux entendu, il fonde le groupe des Républicains et indépendants ; s’éloignant des idées gaullistes qui s’essoufflent après Mai 1968, il tente de se distinguer dans le paysage politique, tout en renforçant son socle électoral auvergnat.

L’homme du changement et de l’Europe ?

Après la mort de Georges Pompidou, devenu Président, l’élection présidentielle de 1974 précite Giscard sur le devant de la scène politique. Il annonce sa candidature et vouloir regarder grâce à elle « la France au fond des yeux ». Sa campagne est une réussite. Il bat dès le premier tour le candidat gaulliste, Jacques Chaban-Delmas, en se plaçant sur une ligne plus libérale et réformatrice. Au second tour, face à François Mitterrand, il parvient à l’emporter sur le fil, avec 50,81% des voix.

L’image d’un Homme d’Etat moderne, incarnant le changement sans la rupture, l’espoir sans la crainte, naît alors ; pendant 7 ans de présidence, ce nouveau locataire de l’Elysée n’aura de cesse d’en tirer parti. Il veut construire une « société libérale avancée », en abaissant par exemple l’âge de la majorité de 21 à 18 ans. C’est aussi sous son septennat que Simone Veil fait passer la loi dépénalisant l’avortement, en dépit de féroces oppositions. Pour défendre les droits des femmes, il nomme par ailleurs Françoise Giroud Secrétaire d’Etat à la condition féminine.

Mais ces avancées sociales s’effacent derrière une grave crise économique ; les chocs pétroliers de 1973 et 1979 font bondir l’inflation et le chômage. Les politiques de Giscard et de son second Premier ministre Raymond Barre, nommé à la suite de la démission d’un certain Jacques Chirac, ne parviendront pas à stopper l’hémorragie et à redresser l’économie.

Dans ce contexte difficile, Valéry Giscard d’Estaing tente de construire une nouvelle Europe, plus fédérale. Il commence par tisser des liens forts avec l’Allemagne et son Chancelier Helmut Schmidt. Tous deux décident de la création d’un Conseil européen dès 1974, et de la tenue des Elections européennes au suffrage universel, en 1979. Ils repensent par ailleurs le Système monétaire du Vieux Continent, et L’ECU (l’unité de compte européenne) est créée. Toutes ces mesurent posent les bases de l’Union européenne et de la zone Euro dans lesquelles nous vivions aujourd’hui.

Les désillusions de 1981

En 1979, son élan politique est stoppé net par l’Affaire des diamants. Le Canard enchaîné l’accuse d’avoir reçu des diamants de la part de Bokassa, Président de la République centrafricaine, lorsqu’il occupait le Ministère des finances. Cette affaire lui fait perdre en popularité, et en mai 1981, il est battu par François Mitterrand aux élections présidentielles.

Giscard, qui n’avait jamais envisagé sa défaite, dit « au revoir » aux Français ; il espère les retrouver lors d’une prochaine présidentielle et rebondir. Toutefois, au regard des sondages et contextes politiques, il renonce à se présenter à nouveau, poursuivant une carrière de député et de chef de file de son mouvement : l’UDF.

Son dernier acte politique est sans doute la rédaction d’une Constitution européenne, présentée en 2005 aux électeurs de l’Union. Elle s’inscrit dans le même projet d’unité qu’il avait porté lorsqu’il était Président. Toutefois, c’est un échec : les Français votent « non » lors du référendum organisé pour l’occasion.