Une expression dit qu’il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Pour Salvini, l’Italie semble être devenue bien froide. Il est lointain le temps où, Ministre de l’Intérieur, il défiait d’un air conquérant une Europe jugée “immigrationniste”, il refusait les bateaux de migrants accostant sur les côtes italiennes et, plus simplement, il gagnait. Sondages décevants, procès et perte de vitesse, portait du parti qui était le premier parti d’extrême droite européen.

La perpétuelle recherche d’identité

Lorsqu’il prend la tête, en 2013, de celle qui s’appelle la Lega Nord (Ligue du Nord), Matteo Salvini entreprend un large chantier de modification de l’identité du parti. La lutte pour l’indépendance d’un pays fantasmé du Nord de l’Italie, la Padanie, est évacuée au profit de celle contre l’immigration et l’Europe. Cet abandon permet au parti de présenter des candidats jusque dans le Sud du pays et la Sicile sous l’étiquette “Lega” aux élections générales de 2018 (équivalent des législatives). L’abandon de la lutte indépendantiste a conduit une partie de l’électorat indépendantiste à se tourner vers le gouverneur de la Vénétie, Luca Zaia, membre de la Ligue resté sur une ligne autonomiste et plus modérée.

Luca Zaia, Président de la Vénétie (Crédit Photo: Corriere del Veneto)

L’alliance avec le Mouvement 5 Étoiles (M5S) conduit le parti à encore faire évoluer sa ligne, prenant à son compte les revendications anti-systèmes et de démocratie directe de son allié. La tentative manquée de prise de pouvoir de l’été 2019, aboutissant à l’explosion de l’alliance, n’a pas provoqué de changement à ce niveau. Cependant, elle va conduire à une toujours plus grande personnification du parti en Matteo Salvini, au point que la Ligue est renommée Ligue pour Salvini Premier Ministre début août 2020. Les nostalgiques de l’alliance avec le M5S sont, encore aujourd’hui, nombreux, peut-être autant que ceux qui s’inquiètent de cette dérive personnelle du parti.

Luigi di Maio, ancien leader du Mouvement 5 Etoiles (Crédit Photo: Le Temps)

A l’échelle européenne, la Ligue va voir sa position se radicaliser. Salvini, lors de son passage au Gouvernement, avait adopté une ligne extrêmement critique envers l’institution, qui a conduit le parti, eurosceptique de longue date, à développer une ligne véritablement europhobe et à s’allier avec l’extrême droite française (le Rassemblement National) au sein d’un grand parti européen, Identité et Démocratie, au grand damne de ses représentants européens qui souhaitent eux plutôt se rapprocher de la droite classique européenne, le Parti Populaire Européen (PPE), où siège par exemple le parti Les Républicains, un chantier que Berlusconi, redevenu allié de la Ligue, soutient.

Logo du parti Identité et Démocratie (Crédit Photo: Identité et Démocratie)

Une opposition difficile

La perte de ses repères n’est pas la seule explication de la situation complexe qu’affronte aujourd’hui le parti. La prise de pouvoir avortée de l’été 2019 a conduit un parti qui y était mal préparé dans l’opposition. Si Salvini, habitué des joutes verbales, s’en accommode rapidement, la Pandémie de Coronavirus va rapidement précariser sa situation.

En effet, les Italiens se soudent autour de leur Gouvernement et en particulier de leur Premier Ministre, Giuseppe Conte, qui atteint 60% d’opinions favorables au sortir de la crise quand Salvini en recueille la moitié. Devenu inaudible, Salvini est également tiraillé par un dilemme entre une position nationaliste de fermeture des frontières et du pays et une position libérale d’encouragement au retour à la normale. L’aide européenne de 80 milliards d’euros pour lutter contre les effets de la crise issue de la pandémie a contribué à une image plus positive de l’Europe en Italie, qui affaiblit à nouveau celui que l’on surnomme Il Capitanio.

Giuseppe Conte, le Premier Ministre Italien (Crédit Photo: AFP)

Par ailleurs, celui-ci a vu son immunité parlementaire levée en plein été 2020 à cause des poursuites dont il fait l’objet pour avoir refusé d’accueillir un bateau de migrants alors même que celui-ci était en état de détresse quand il était Ministre de l’Intérieur. Il ne faut cependant pas exagérer l’importance de cette levée, car une partie de l’opinion, antisystème, voit en ce procès une question plus politique que juridique.


Le destin de la Ligue est aujourd’hui devenu celui de son leader, son secrétaire fédéral, Matteo Salvini. Il Capitanio a défini pour elle une nouvelle ligne, un nouveau jeu d’alliance et même un nouveau nom, au risque de perdre ce qui faisait l’essence de celle-ci. Devenu aujourd’hui plus que son chef, son incarnation, il a fait du parti régional un parti personnel, qui le représentera dans toutes ses victoires… et ses échecs.