7 juillet 2020, peu après midi. Eric Dupond-Moretti est en pleine passation de pouvoir, rite républicain qui doit transformer l’avocat polémique en ministre consensuel, du moins l’espère-t-on. La fin du rite est inévitablement un discours du nouveau ministre de la Justice qui, à cette occasion, lance ce qui doit devenir un jalon essentiel de son action: “Mon ministère sera celui de l’antiracisme et des droits de l’Homme”. Certains, s’appuyant sur son expérience passée, lui reprocheront sans doute d’avoir oublié la femme. Entre enfance traumatisée et avocat surmédiatisé, portrait de celui qui a mis les associations féministes dans la rue.

Le petit « Rital »

D’origine italienne, Eric Dupond-Moretti (EDM) naît le 20 avril 1961 à Maubeuge (Hauts-de-France) d’une mère femme de ménage et d’un père ouvrier métallurgiste qui mourra alors qu’il n’a que quatre ans. Elevé par sa mère et sa grand-mère, il grandit au récit de la mort de son grand père maternelle. Celui-ci, avant la naissance de son petit-fils, est retrouvé mort, le crâne défoncé, sans qu’aucune enquête ne soit menée car celui-ci était un “Rital”.


C’est cet événement qui conduira EDM à vouloir devenir avocat, mais c’est à l’éducation de sa grand-mère qu’il doit son goût pour les belles phrases. Marqué par les difficultés financières de sa famille, il est élève dans un lycée catholique de Valenciennes. Son bac en poche, il se lance dans des études de droits où seul le droit pénal l’intéresse. Parmi les moins bons élèves, il s’illustre en remportant un concours d’éloquence organisé par le barreau (organisation des avocats) de Lille.

TGI/TJ Lille
Le Palais de Justice de Lille (Crédit photo: Lille.fr)

L’entrée dans l’arène

Formé par Jean Descamps et Alain Furbury dont il porte encore aujourd’hui la robe, celui qui s’appelle encore Eric Dupond fait ajouter le patronyme de sa mère, Moretti, pour éviter d’être confondu avec un homonyme. Nous ne retracerons pas ici l’ensemble de sa carrière, mais posons ses éléments essentiels. Sa carrière commence en 1984 quand il prête serment à Douai puis s’inscrit au Barreau de Lille. Connu dans ses terres du nord, il gagne une carrure nationale à l’occasion de l’Affaire d’Outreau. Sombre histoire de pédophilie à l’échelle d’un village, elle comporte 13 avocats dont EDM est le plus éloquent. La révélation finale, celle qu’une partie des accusés a été mise en prison pour des faits mensongers, conduits à une réflexion sur une réforme de la Justice. 

Eric Dupond-Moretti au Tribunal pour l’Affaire d’Outreau (Crédit Photo: AFP)

Sa carrière prend alors une toute autre échelle, l’avocat défendant des noms comme Yvan Colonna, Antonio Ferrara, Bernard Tapie, Jawad Ben Daoud, Patrick Balkany ou encore Karim Benzema. Mais aux côtés de ces noms, on trouve ceux de “Gitano”, de femmes seules, d’ouvriers pour lesquels il a parfois plaidé gratuitement. L’amour de la justice diront certains. Des crises de conscience diront d’autres. Toujours est-il que ces nombreux procès lui ont offert un palmarès inégalé, mais critiqué pour le nombre d’hommes violents qui y figurent. Lorsqu’il devient Ministre de la Justice, EDM a à son actif pas moins de 145 acquittements, chacun ayant une case dans la longue liste dressée par sa secrétaire. Mais ce n’était pas qu’un simple collectionneur de trophées. 

D’avocat à maître

Pour Eric Dupond-Moretti, avocat c’est une vocation, mais aussi une cause. Ses engagements pour cette cause, ils sont nombreux. Il a par exemple durement critiqué le rôle des médias dans les procès, qui nuisent au rôle de l’avocat en faisant pression sur le juge et sur l’opinion publique, ou encore réclamé le retour des djihadistes français pour être jugés sous la loi française et ainsi leur éviter la peine de mort. Plus directement dans l’action publique, il est favorable à une plus grande indépendance du Parquet (les Procureurs ont encore aujourd’hui le Ministre de la Justice comme supérieur hiérarchique) et s’est montré très critique à l’égard de la formation des juges, dont il recommande de réformer l’école, l’École Nationale de la Magistrature, voire de la supprimer pour créer une grande école commune aux juges et aux avocats. La citation de Serge Fuster “La justice, c’est une administration à laquelle on a donné le nom d’une vertu” est pour lui autant une rengaine qu’un agenda politique.

L’Ecole Nationale de la Magistrature (Crédit Photo: Sud Ouest)

Il convient par ailleurs de rappeler ses rapports tumultueux avec les juges, raisons parmi d’autres du titre de “terroriste des prétoires” qui lui a été accolé. EDM est ainsi connu comme un provocateur, n’hésitant pas à aller à l’invective contre ses adversaires et à fumer en plein tribunal. Un fondement de cette hostilité tient peut-être dans la tentative d’éviction de l’avocat par un Procureur en 1993, où un coup fourré à base de cocaïne aurait pu mettre un terme à la carrière de l’actuel ministre de la Justice.

Un picador expérimenté

Le picador, lors d’une corrida, est l’homme qui pique régulièrement, d’où son nom, le taureau. Pour le Ministre de la Justice, le taureau n’est nul autre que l’opinion publique, qu’il n’hésite pas à piquer, que ce soit par des prises de positions polémiques, par exemple en prenant fait et cause pour le droit de siffler des femmes dans la rue, ou en le confrontant à des questions morales complexes, comme le cas de la peine de mort qui menace les djihadistes français prisonniers en Syrie et en Irak. Néanmoins, son passé le précède, et ses défenses d’hommes violents, de violeurs voire d’auteurs de féminicides ont souvent conduit les associations féministes à huer ses entrées, comme dernièrement au Ministère de la Justice.

Manifestation parisienne contre les nominations d’Eric Dupond-Moretti et Gérald Darmanin (Crédit Photo: Reuters)

S’il n’est jamais effectivement descendu dans l’arène, EDM est également un passionné de corrida, loisir auquel il a été initié par Alain Furbury. Cette passion l’a conduit à signer une pétition pour éviter que les mineurs soient écartés de l’arène lors du spectacle ou à affronter, verbalement, Guillaume Meurice.


Picador, Rital, avocat de Balkany… Quelque soit le surnom qu’on lui accole, il ne fait aucun doute qu’Eric Dupond-Moretti est l’un des plus grands avocats pénalistes de son temps, auréolé de succès, de titres et d’une carrière sur les planches et au cinéma réussie. Mais si le nouveau Ministre de la Justice a courroucé les associations féministes, ce n’est pas pour son enfance tragique ou sa carrière parmi les plus grandes de l’époque, mais parce qu’elles estiment qu’il est temps d’en changer, d’époque.