Les années 1890 ont connu la plus grande crise politique et morale de la Troisième République : l’affaire Dreyfus. Et pour cause, celle-ci s’est déroulée dans un contexte d’antisémitisme violent, notamment avec la montée du nationalisme en Europe. Elle a ainsi marqué des générations de français et a également ébranlé cette Troisième République naissante.
Tout commence en septembre 1894 quand Mme Bastian, femme de ménage à l’ambassade d’Allemagne mais aussi agent de renseignement français, découvre un bordereau. Ce document contient des renseignements sur les tests d’équipements d’artillerie adressé au major Schwartzkoppen, attaché militaire allemand.
Lors de cette période, l’Allemagne est considérée comme l’ennemi juré du pays depuis la perte de l’Alsace et de la Lorraine en 1870. Divulger des informations aux Allemands représente donc un acte de haute trahison.
Une enquête rapide du commandant Armand Mercier du Paty de Clam, chargé de trouver l’auteur du document, lui permet de déduire que le bordereau émane de l’état-major français.
Les soupçons se portent alors sur Alfred Dreyfus, capitaine de l’armée française et de confession juive, dont l’écriture semble ressembler à celle du papier. Il est ainsi arrêté au ministère de la Guerre par le commandant, sans aucune preuve de sa culpabilité.
Le portrait d’Alfred Dreyfus
Le 29 octobre 1894, le journaliste Edouard Drumont révèle dans La Libre Parole, un journal antisémite, l’arrestation d’un officier français pour haute trahison. À la suite de cette accusation, Dreyfus est dégradé publiquement et humilié. Il clame son innocence mais en vain.
En effet, il est condamné en décembre, à l’unanimité des juges, à la déportation à perpétuité en Guyane pour haute trahison et ce, sans aucune preuve.
Mais à Paris, son frère Mathieu Dreyfus, Mme Lucie Dreyfus et un journaliste du nom de Bernard Lazare luttent pour prouver l’innocence de Dreyfus et demandent la révision du procès. Pour contrer tout ça, l’armée fabrique de nouvelles fausses preuves sur lesquelles s’appuyer.
A PROPOS DE JUDAS DREYFUS. La Libre Parole illustrée, octobre 1984. Source: telerama.fr
Cependant, le général Picquart, chef du Service de renseignement décide en 1896 de mèner son enquête. Il conclut de ses investigations que le réel auteur du bordereau n’est autre que le Commandant Ferdinand Walsin Esterhazy. Il révèle sa trouvaille à l’armée qui refuse de reconnaitre ses découvertes et ainsi remettre en cause la culpabilité de Dreyfus. Le général Picquart est incarcéré au mont Valérien tandis que le Commandant Esterhazy, lui, est acquitté.
Presque deux ans plus tard, le 13 janvier 1898, Emile Zola publie dans le journal l’Aurore sa lettre adressée au président de la République, le fameux « J’accuse ». Il entend rétablir « la vérité d’abord sur le procès et sur la condamnation de Dreyfus ».
Zola démonte tout le mécanisme de couverture des autorités et encourage les intellectuels à se mobiliser dans cette affaire. Le duel entre la presse dreyfusarde, favorable à la révision du procès, et la presse antidreyfusarde, antisémite, commence véritablement : caricatures, journaux spécialisés dans l’événement… Emile Zola affirme ainsi, avec sa lettre, le rôle de la presse dans la mobilisation politique. Il est condamné pour cet article et doit fuir au Royaume-Uni.
« J’accuse… ! » à la une de L’Aurore le 13 Janvier 1898
La presse nourrit les divisions au sein de la population. Deux conceptions politiques, véhiculées par les journaux, s’affrontent donc :
– Les dreyfusards, qui combattent l’erreur judiciaire au nom de la justice et de la vérité. Parmi ces dreyfusards on retrouve bien sûr Zola, Clemenceau, journaliste et homme politique qui possède le journal L’Aurore, Jean Jaurès, homme politique et théoricien du socialisme français.
-Les antidreyfusards opposent la raison d’Etat, la défense de l’armée et tombent dans le nationalisme, l’antisémitisme. Pour Charles Maurras, fondateur du journal d’extrême droite l’Action Française, Dreyfus symbolise « l’anti-France » du fait de son origine juive.
Caricature de Caran d’Ache parue dans les colonnes du Figaro le 14 février 1898. Source: Larousse.fr
Une grande instabilité au sein de la population et de l’Etat règne en France. La révision du procès devient inévitable. Il est ainsi ouvert devant le Conseil de guerre de la Xe région militaire de Rennes le 7 aout 1899.
Alfred Dreyfus est finalement condamné de nouveau avec des « circonstances atténuantes » mais gracié en septembre par le président de la République, Émile Loubet. Cependant, Dreyfus ne veut pas de la grâce présidentielle : il veut être innocenté.
En 1906, la Cour de cassation affirme que la condamnation portée contre Alfred Dreyfus a été prononcée « à tort ». Au cours de cette même année, il est réhabilité et regagne sa place dans l’armée avec le grade de chef d’escadron et Picquart avec le grade de général de brigade.