Elle a longtemps été donnée favorite pour le poste avant de partager l’affiche avec d’autres figures montantes. Pourtant, mardi 11 août 2020, le candidat démocrate à la présidentielle Joe Biden a annoncé qu’il avait choisi Kamala Harris, sénatrice de Californie comme candidate à la vice-présidence des États-Unis.

Si officiellement les attributions et véritables pouvoirs politiques du vice-président sont minces, le titulaire du poste s’est peu à peu imposé en conseiller privilégié du président et son poids à la Maison-Blanche est très important. Qui est Kamala Harris, troisième femme de l’histoire à prétendre au titre (après la démocrate Géraldine Ferraro en 1984 et la républicaine Sarah Palin en 2008) et peut-être première vice-présidente de l’histoire des États-Unis ?

Un passé de pionnière

Kamala Harris naît à Oakland (Californie) en 1964 d’un père jamaïquain et d’une mère indienne et se définit elle-même comme « américaine ».

Après des études de droits, elle travaille à partir de 1990 auprès de procureurs de district. Elle se confronte en 2003 à sa première élection au cours de laquelle elle devient procureure de San Francisco et représente donc l’État de Californie dans les affaires judiciaires du district.

En 2011, elle est élue procureure générale de L’État de Californie (équivalent de ministre de la justice de l’Etat), poste qu’elle occupe jusqu’en 2017. Elle s’installe alors à la tête de la justice de l’État le plus peuplé des États-Unis.

Au cours de sa carrière judiciaire, Kamala Harris cumule les titres de pionnières, devenant la première procureure de district de couleur de l’État de Californie. En 2011, elle devient également la première femme afro-américaine et américaine d’Asie du Sud à s’installer au poste de procureure générale de Californie.

Alors procureure générale de Californie, Kamala Harris est apparue à la Pride de San Francisco en compagnie de son mari en 2015 (© Thomas Hawk)

Ses années passées en tant que procureure présentent un bilan clairsemé, marqué par un engagement relativement progressiste mais jugé assez durement par l’aile gauche du parti démocrate qui lui reproche notamment de ne pas avoir suffisamment lutté contre les violences policières.

Lors de ses deux mandats à la tête de la justice californienne, elle a travaillé étroitement avec le procureur général du Delaware, Beau Biden, le fils défunt de celui avec qui Kamala Harris partage le ticket pour l’élection de novembre.

En 2016, Kamala Harris se déclare candidate pour représenter la Californie au Sénat des États-Unis. Elle prend ses fonctions l’année suivante et devient la seconde sénatrice afro-américaine (et première indo-américaine) de l’histoire des États-Unis.

Kamala Harris est donc devenue sénatrice au moment où Donald Trump s’installait à la Maison-Blanche et s’est rapidement imposée comme une figure de l’opposition au président américain. Elle marque les esprits démocrates par son style incisif lors d’auditions par le Sénat américain de personnalités que le président entend nommer à des postes clés.

Une ancienne rivale de Joe Biden

En janvier 2019, Kamala Harris annonce sa candidature à l’investiture du parti démocrate pour l’élection présidentielle. Sa candidature est alors prometteuse : elle détient le record du plus important financement levé le lendemain de l’annonce d’une candidature.

Kamala Harris se fait particulièrement remarquer à l’occasion des débats télévisés qui opposent les candidats démocrates, notamment par ses virulentes attaques à l’encontre du candidat Joe Biden.

Elle lui reproche par exemple de s’être opposé, alors qu’il était sénateur, au busing, pratique qui visait à réduire la ségrégation raciale en organisant le ramassage scolaire en bus de sorte à favoriser la mixité sociale et raciale au sein des écoles, système dont Kamala Harris a pu bénéficier étant jeune.

Si Kamala Harris a pu jouir de bons scores dans les sondages à l’été 2019 et malgré de bonnes performances aux débats télévisés, elle chute lentement dans les enquêtes d’opinions et en décembre, alors créditée de 3% d’intentions de vote et en manque de financements, elle abandonne la course à la nomination démocrate pour la présidentielle.

Kamala Harris, alors candidate aux primaires démocrates (© Gage Skidmore)

En mars 2020, elle apporte son soutien à Joe Biden, alors que s’annonce l’importante remontée du candidat après des premiers scores décevants.

Rapidement, Joe Biden annonce qu’il choisira une femme comme colistière s’il est le candidat du parti en novembre et Kamala Harris s’impose de suite parmi les favorites. L’incertitude des commentateurs politiques sur ses chances de nomination grandit toutefois dans les dernières semaines précédant l’annonce, au profit de la montée en puissance d’autres prétendantes.

Toutefois, c’est bien Kamala Harris qui est choisie par Joe Biden pour être sa colistière lors de l’élection, première femme de couleur à figurer sur un ticket présidentiel de l’histoire des États-Unis.

Quel impact pour la campagne ?

Kamala Harris est souvent rattachée, de même que Joe Biden, à l’aile modérée du parti démocrate (certains la qualifient de progressiste pragmatique). Mais alors que le candidat Biden a opéré un glissement de son programme politique vers la gauche – faisant dire au sénateur socialiste Bernie Sanders que Joe Biden pourrait être le président le plus progressiste depuis Franklin Roosevelt – Kamala Harris s’impose en choix logique alors que Joe Biden cherche à rassembler un électorat le plus large possible.

S’il est source de quelques crispations chez l’aile gauche du parti démocrate, le passé assez ferme de la procureure Harris s’agissant des violences policières peut être un atout face à un Donald Trump qui se présente en président de « la loi et l’ordre » et qui cherche par tous les moyens à dépeindre le ticket adverse en représentants de la gauche radicale.

Notons que Kamala Harris est originaire de Californie, État largement acquis aux démocrates et ne pourra donc pas user de sa notoriété locale pour faire basculer un État en faveur de Joe Biden.

Kamala Harris apporte également une énergie à la campagne assez calme de Joe Biden. Sa posture de favori dans les sondages, sa quête de rassemblement et les restrictions de déplacement liées à l’épidémie de coronavirus ont en effet fait adopter à Joe Biden un style de campagne assez discret, le candidat étant surnommé « sleepy Joe » (« Joe l’endormi ») par son adversaire républicain. De nombreux commentateurs s’accordent alors à dire que Kamala Harris, par son style incisif et ses qualités oratoires, pourrait venir donner de l’énergie et un ton offensif à la campagne Biden-Harris.

L’actuel vice-président Mike Pence a d’ores-et-déjà dit attendre avec impatience le débat qui l’opposera à Kamala Harris le 7 octobre prochain. (© Gage Skidmore)

À 55 ans, Kamala Harris jouera un rôle central pour Joe Biden si ce dernier venait à être élu. Il serait en effet âgé de 78 ans lors de sa prise de fonction et semble entendre ne faire qu’un mandat. La candidature de Kamala Harris à la présidence en 2024 semblerait alors naturelle et son poste de vice-présidente pourrait être un atout lors de la primaire démocrate. Dans un registre plus dramatique mais ouvertement abordé par Joe Biden, Kamala Harris pourrait être appelée à devenir présidente si l’ancien vice-président de Barack Obama venait à être en incapacité d’exercer ses fonctions.

Kamala Harris incarne donc une nouvelle génération d’élus démocrates et si le choix semble être celui de la sécurité, le ticket Biden-Harris paraît présenter les qualités requises en ce que les deux candidats s’opposent et se complètent à la fois, à l’instar du choix qu’avait fait le jeune sénateur afro-américain Barack Obama en 2008 en choisissant le plus expérimenté Joe Biden.