Après 4 jours d’une visite marathon à Rome, sur le Rocher monégasque, et en France, le Président chinois a exprimé sa volonté de renforcer les partenariats entre l’Europe et l’Empire du Milieu. Il a notamment évoqué, avec Emmanuel Macron, son projet titanesque des « nouvelles routes de la soie », mais aussi sa vision du monde contemporain et de la diplomatie de demain.
Une stratégie diplomatique européenne
La volonté d’un rapprochement économique et stratégique entre la France et la Chine est affichée par le Président de la République depuis le début de son mandat. En janvier 2018, Emmanuel et Brigitte Macron avaient en effet effectué un voyage officiel en Chine, ouvrant la voie à de nouvelles négociations entre les deux pays. Un an après cette première rencontre, le Président chinois, en sus d’honorer l’invitation faite par la délégation française de se rendre à Paris, a rencontré 5 dirigeants européens ; son ambition de commercer davantage avec le Vieux Continent semble ainsi intacte, et en passe de se réaliser.
Après un passage en Italie, puis une rencontre avec le Prince Albert II de Monaco, Xi Jinping a passé 3 jours sur le sol français. Pour cette visite, rare (la dernière ayant eu lieu il y a 5 ans, sous la présidence de François Hollande), aucun détail n’a été laissé au hasard. Le Chef de l’État chinois a été accueilli dimanche 24 mars pour un dîner avec le couple Macron dans la Villa Kérylos, au bord de la Méditerranée. Deux jours de pourparlers ont suivi, au Palais de l’Élysée cette fois, qui se sont conclus par un mini-sommet avec la Chancelière allemande, Angela Merkel, et le Président de la Commission Européenne, Jean-Claude Junker.
Emmanuel Macron souhaite bâtir avec la Chine une nouvelle diplomatie. Le pays possède, tout comme la France, un siège permanent au Conseil de Sécurité de l’ONU et la puissance de dissuasion nucléaire. La date de cette rencontre n’est pas non plus anodine : les relations entre les deux pays, telles qu’on les connaît aujourd’hui, fêtent leur 55ème anniversaire. Le Général de Gaulle était alors un des premiers à entamer des discussions avec le très autoritaire Mao Zedong. Dans un contexte très différent, Paris veut aujourd’hui encore se placer en précurseur et faire de la coopération avec la Chine une priorité de l’agenda diplomatique ; cette stratégie fait fi des critiques de certains membres de la classe politique. Yannick Jadot (EELV), s’est par exemple insurgé : pour lui, la France « ne doit pas dérouler le tapis rouge à la Chine ». Il pointe notamment le non-respect des droits de l’Homme dans le pays.
Jean-Claude Junker, Xi Jinping, Emmanuel Macron et Angela Merkel au Palais de l’Élysée, réunis pour une conférence de presse, à l’issue du mini-sommet sino-européen du 26 mars. Le Président français a prôné un « multilatéralisme fort » dans tous les domaines des relations internationales. Source : Pool – Reuters
Une fausse note a également été remarquée par beaucoup d’observateurs : le Président et le Premier Ministre italien ont rencontré le Chef de l’État chinois samedi, sans diplomates européens, et n’étaient de facto pas présent à l’Élysée mardi. Cette absence, qui en dit long sur les relations entre Bruxelles et le pouvoir italien, inquiète : l’Italie est la 3ème puissance économique de l’Union, et Emmanuel Macron aurait souhaité une position commune face au géant chinois.
D’importants enjeux économiques
La visite du Président chinois est aussi l’occasion de finaliser des contrats, actant la volonté française d’exporter davantage vers Pékin. Le déficit commercial s’élève en effet à près de 30 milliards d’euros, atteignant chaque année de nouveaux records. Pour rééquilibrer le rapport de force, la China Aviation Supplies Holding Company, coopérative qui gère des compagnies aériennes chinoises, a fait l’acquisition de 300 Airbus, devant un parterre de journalistes réunis au Jardin d’Hiver de l’Élysée. Un autre contrat d’un montant plus modeste d’un milliard d’euro a été conclu avec EDF pour la construction d’éoliennes offshores sur les côtes chinoises.
L’objectif des négociations sur le partenariat sino-européen est simple : il s’inscrit dans la politique économique d’ouverture de l’Union européenne, et dans la volonté chinoise de trouver de nouveaux alliés, en pleine « guerre commerciale » avec les États-Unis. Aussi, les États européens ont exigé plus de « réciprocité » dans les échanges, tout en réfléchissant au fonctionnement de ces-derniers, à l’heure où de nouveaux enjeux apparaissent et au moment où l’Organisation Mondiale du Commerce est de plus en plus contestée par le Gouvernement américain. Angela Merkel, sur ce point, a mis en garde ses homologues, en évoquant le système actuel : « Serons-nous capables de le faire évoluer et de le réformer, ou ce système construit dans l’après-guerre va-t-il se calcifier, devenir toujours plus rigide et finir aux poubelles de l’histoire ? ».
Un Dîner d’État a été organisé, lundi soir, en l’honneur du Président chinois et de son épouse, la chanteuse Peng Liyuan. Dans la salle des fêtes du Palais de l’Élysée, 200 personnalités du monde politique, financier et culturel étaient présentes. Source : Pool – Reuters
[spoiler intro= »Un projet titanesque » title= »les nouvelles routes de la soie »] Le Président chinois n’est pas uniquement venu en Europe pour faire des acquisitions. Il souhaite faire la promotion d’un projet très controversé : celui des « nouvelles routes de la soie ». Il s’agit pour le Gouvernement chinois de mettre en place un réseau de transport maritime et ferroviaire, depuis Pékin, jusqu’au continent africain et jusqu’à des pays européens (l’Allemagne, le Royaume-Uni et la France sont concernés). Pour cela, l’Empire du Milieu est prêt à investir plus de 1000 milliards de dollars dans la construction de nouvelles infrastructures.Cette politique d’expansion inquiète certains : elle résulte en effet de la volonté des autorités pékinoises d’exporter encore davantage vers l’Europe. De plus, elles poursuivent leur stratégie militaire dite du « collier de perle » ; beaucoup redoutent en effet que des infrastructures militaires chinoises voient le jour le long de ces réseaux, à proximité immédiate du Vieux Continent.
Face aux inquiétudes européennes, Xi Jinping s’est voulu rassurant. Il sait déjà qu’il peut compter sur un soutien italien, et a tenté de convaincre les dirigeants réunis ce mardi à Paris de se rallier à sa cause. [/spoiler]
Xi Jinping, l’homme fort de Pékin
Depuis plus de 6 ans à la tête du pays, il compte bien y rester à vie. L’an dernier, dans cet objectif, Xi Jinping a fait changer la Constitution par les 3000 députés chinois : désormais, plus aucune limite de mandat n’est imposé au Président chinois. Il faut dire que le « rêve chinois » de celui qu’on appelle Xi Dada (Tonton Xi) va bien au-delà d’une politique militaire et économique conquérante. Il passe en réalité par une propagande omniprésente, qui galvanise la population, et un culte de la personnalité autour du dirigeant jamais vu depuis Mao. Ainsi, affiches, bustes et vaisselle à l’effigie de Xi Jinping sont désormais monnaie courante dans les foyers chinois.
Mais cette politique dérive sur une censure et un contrôle de la presse parmi les plus stricts au monde. Plus de 100 journalistes et blogueurs sont actuellement détenus dans les prisons du pays ; ce chiffre fait de la Chine « le plus grand geôlier du monde pour la presse », rappelle l’ONG Reporters Sans Frontières. De plus, les principaux réseaux sociaux, Weibo et QQ, font l’objet d’une surveillance permanente. Articles critiques, caricatures ou photographies dégradantes sont systématiquement supprimés de l´Internet chinois.
L’esprit des Lumières européen place le respect de l’individu au-dessus de tout. On ne l’a jamais considéré comme une spécificité culturelle mais comme un droit universel. Avec le Président chinois, nous avons des échanges francs qui doivent nous permettre des avancées concrètes.
— Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 25 mars 2019
Le Président français a toutefois évoqué un autre problème avec Xi Jinping : celui des libertés fondamentales, souvent bafouées dans le pays, et des droits de l’Homme. Il faut dire que dès dimanche, 1400 personnes ont défilé dans les rues de Paris : « Nous voulons la liberté » pouvait-on entendre. Ces manifestants demandaient en fait l’autonomie voir même l’indépendance du Tibet, région annexée par la Chine il y a 60 ans. Depuis la fuite du Dalaï Lama de Lhassa, le Gouvernement chinois a quitté la table des négociations et semble se contenter du statu quo, en vigueur depuis 2010. Beaucoup espèrent, sur ce dossier comme sur d’autres sujets, une amélioration et la naissance d’une nouvelle politique en Chine. Certains, plus sceptiques, attendent des avancées concrètes, peut-être dans les années à venir.