Decathlon a finalement décidé de revenir sur la commercialisation de son « hidjab de running » en France, après la polémique lancée sur les réseaux sociaux.
L’origine de la polémique
Le produit est déjà vendu par Decathlon au Maroc. Nike le commercialise en ligne dès 30 euros. La marque de sport française n’innove donc pas dans la commercialisation d’ « hidjab de running ». Pourtant en France, ça ne passe pas.
Alors que plusieurs internautes avaient pointé du doigt un nouveau « hidjab de running » sur le site de Decathlon, la polémique est déclenchée par l’annonce de la vente du produit dans les magasins Decathlon en France.
Le produit devait être disponible pour la modique somme de huit euros, dans la section de course à pied Kalenji du magasin. Cela devait permettre aux femmes de confession musulmane de pouvoir pratiquer le sport avec un hidjab spécialement adapté.
Twitter se déchaîne
« Bande de pourris (…) vous trahissez les valeurs de la République (…) Honte à vous (…) vous contribuez à l’invasion islamiste, vous finirez avec cette racaille dans les fours en Pologne » — propos d’un internaute sur Twitter, relatives à la vente du hidjab de running.
Sur Twitter, les internautes réagissent rapidement et les propos débordent. La parole des élus politiques et personnalités diverses se veut plus mesurée mais témoigne du même choc face à l’annonce de cette commercialisation.
Le sport émancipe. Il ne soumet pas. Mon choix de femme et de citoyenne sera de ne plus faire confiance à une marque qui rompt avec nos valeurs.
Ceux qui tolèrent les femmes dans l'espace public uniquement quand elles se cachent ne sont pas des amoureux de la liberté.#Decathlon— Aurore Bergé (@auroreberge) February 26, 2019
Pour Aurore Bergé, Decathlon « rompt avec (nos) valeurs (de la République) » par la commercialisation de cet accessoire religieux. Agnès Buzyn, ministre des Solidarités et de la Santé déclare ne pas partager cette « vision de la femme » mais pointe la légalité de la démarche de la marque sportive française.
Gérard Larcher, Président du Sénat, dénonce « tout ce qui peut enfermer la femme, fût-ce au nom d’une ritualité qui n’est pas la valeur profonde d’une religion ».
Néanmoins, c’est un tweet de Corinne Lepage, ancienne ministre de l’environnement sous Jacques Chirac, qui retient l’attention. « C’est honteux et je rappelle que la loi interdit de se cacher le visage. Decathlon va perdre plus de clients qu’il ne va en gagner », déclare-t-elle avant de recevoir la réponse de « Yann », community Manager de Decatlon sur Twitter.
Bonjour,
Nous parlons bien d’un Hijab, et donc à aucun moment il n’est question de se voiler le visage. Il faut faire attention aux termes employés pour ne pas créer de confusion.
Yann— Decathlon (@Decathlon) February 26, 2019
Le 26 février 2018, Decathlon renonce donc à une commercialisation qui aura fait couler beaucoup d’encre, et libéré la parole de nombreuses personnalités publiques. Xavier Rivoire, directeur de la communication de la marque sportive française relate les nombreuses agressions et insultes perpétrées à l’encontre des équipes de Decathlon. Ce serait ainsi plus de « 500 appels et mails » reçus, proférant menaces et insultes multiples.
Cependant, l’argumentation de Decathlon a grandement desservi la démarche commerciale, alors même que la marque française évoquait tout d’abord une « erreur« , affirmant que le « hidjab de running » devait uniquement être vendu au Maroc, avant de révéler sa réelle intention de commercialiser ce produit sportif religieux sur le marché français.
Un débat polémique récurrent en France
Ce n’est néanmoins pas la première fois qu’un tel sujet fait polémique en France.
En 2010, Nicolas Sarkozy, alors Président de la République, interdisait le port du voile intégral en France (la burqa). Pour le New York Times, le débat était qualifié d’« idiot » affirmant que « les responsables politiques français semblent vouloir fermer les yeux devant les violations des libertés individuelles« .
Pourtant, la distinction n’est pas simple aux yeux des Français. Si le port du voile intégral, d’un « hidjab de running » ou de tout autre signe religieux réservé aux femmes musulmanes fait autant grincer des dents, c’est notamment dû à la tradition laïque de l’Etat. Entre laïcité et expression de « libertés individuelles« , le débat semble donc rapidement déborder.
En août 2016, l’interdiction de dizaines de mairies du port de « burkinis » aux femmes musulmanes avait également déchaîné la chronique. Une nouvelle fois, le port d’un signe religieux dans l’espace public – la plage ou les piscines publiques – était autorisé par la loi. Néanmoins, le burkini ne passe pas et plusieurs personnalités publiques s’emparent du sujet pour exprimer leur réticence.
Le 11 août, un arrêté visant spécialement les plages publiques de Cannes interdit le port du burkini. Rapidement, plusieurs mairies se joignent à cette manoeuvre juridique pour éloigner le religieux du littoral. La décision du Conseil d’Etat du 26 août tranche la question : « aucun élément ne permet de retenir que des risques de trouble à l’ordre public aient résulté de la tenue adoptée en vue de la baignade par certaines personnes. En l’absence de tels risques, le maire ne pouvait prendre une mesure interdisant l’accès à la plage et la baignade ».
Dans d’autres pays, le sujet n’est pas aussi brûlant. Le Washington Post affirme que la France rentre à bien des égards dans une approche « mélodramatique de ce que peuvent, ou ne peuvent pas porter les femmes de confession musulmane ».
Qu’en pense l’Observatoire de la laïcité ?
Nicolas Cadène, interrogé par Franceinfo, déclare que le principe de laïcité évoqué par de nombreux détracteurs de la commercialisation des hidjabs sportifs n’est pas valable : « le principe de laïcité garantit au contraire le droit de porter ou non un signe religieux, notamment dans la rue, dès lors qu’il n’est pas imposé à autrui. »
« Le sujet des signes religieux, et en particulier le sujet du voile, renvoie à une très forte sensibilité et à certaines crispations de la société française. » — Nicolas Cadène