Après quatre mois de contestation populaire contre le pouvoir en place, le ministre de la Défense soudanais a annoncé, ce jeudi 11 avril 2019, la destitution de son chef, le Président Omar el-Béchir, à la tête du pays depuis 30 ans. Une journée historique pour ce pays ponctuée par des scènes de liesse mais aussi par de nombreuses incertitudes sur le plan politique.

Le 11 avril 2019, une journée historique pour le Soudan

Dès l’aube de ce 11 avril 2019, des militaires ont mené un raid à Khartoum, capitale du Soudan, dans des locaux appartenant à la branche idéologique du Parti du Congrès National (NCP) du Président Béchir. Au même moment, des unités militaires ont été déployées à différents points stratégiques de la capitale. La télévision nationale soudanaise a interrompu la diffusion de ses programmes pour annoncer que l’armée allait prendre la parole. Des milliers de Soudanais sont descendus dans les rues et se sont rendus, entre autre, devant le quartier général de l’armée à Khartoum en attendant les annonces. Dans un communiqué, par crainte de débordements, les meneurs du mouvement Alliance pour la liberté et le changement ont appelé la foule à « ne pas attaquer quiconque ou les biens gouvernementaux et privés ».

En milieu de matinée, le ministre de la Défense soudanais, Aouad Ibn Aouf, a pris la parole à la télévision d’État et a annoncé « la chute du régime et le placement en détention dans un lieu sûr de son chef ». Il a décrété un cessez-le-feu sur l’ensemble du territoire, la fermeture de l’espace aérien et l’instauration d’un couvre-feu nocturne. En outre, il a annoncé la mise en place d’un Conseil militaire de transition pour une durée de deux ans. Les manifestants ont laissé éclater leur joie suite à ces annonces qui marquent, pour beaucoup d’entre eux, la fin d’un régime tyrannique.

L’effervescence dans les rues de Khartoum après les annonces faites par l’armée soudanaise. (Crédit photo : Stringer – Reuters)

Omar el-Béchir, un Président contesté

Né en 1944 dans une famille rurale du Soudan, Omar el-Béchir intègre les rangs de l’armée soudanaise dès son adolescence. Il se rend en Égypte pour intégrer l’académie militaire du Caire. Très rapidement, l’armée égyptienne le repère et lui offre un poste de parachutiste. Après sa participation à la guerre de Kippour en 1973, Omar el-Béchir rentre dans son pays natal. Il devient colonel dans l’armée soudanaise dans un contexte d’instabilité politique. En effet, une guerre civile perdure entre certaines tribus musulmanes du nord du Soudan et des tribus chrétiennes au sud. Le 30 juin 1989, accompagné de certains officiers, Omar el-Béchir renverse le gouvernement démocratiquement élu de Sadeq al-Mahdi. Ce coup d’État militaire est notamment encouragé par le Front islamique national.

Par la suite, Omar el-Béchir accentue le morcellement du Soudan. En 1991, une loi pénale a institué des peines sévères dans tout le pays ; on y retrouve l’amputation et la lapidation. Le Soudan devient très rapidement une terre d’accueil pour de nombreux groupes jihadistes ; notamment celui d’Al-Qaïda. Au regard de cette instabilité, en 1997, les États-Unis imposent un embargo qui vient mettre en péril l’économie soudanaise.

Parallèlement à la guerre civile qui se poursuit entre les régions du sud et les régions du nord, un groupe de rebelles, implanté dans la région du Darfour, est combattu par les troupes du président soudanais en 2003. Mais les stigmates de ces combats sont tragiques. En effet, selon les Nations unies, la guerre a fait plus de 300 000 morts. De plus, les rebelles et le Gouvernement sont accusés d’atrocités. C’est la raison pour laquelle, en 2009 et 2010, la Cour pénale internationale émet, à l’encontre du Président Béchir, deux mandats d’arrêts internationaux pour génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre.

L’ex-Président soudanais, Omar el-Béchir. (Crédit photo : Ashraf Shazly – AFP)

À la suite de la guerre du Darfour, les tensions entre le nord et le sud du pays sont toujours très vives. En 2011, un referendum d’autodétermination permet aux sud-soudanais d’obtenir leur indépendance. Cette sécession fait naitre de nombreuses problématiques pour le Soudan. En effet, les principales ressources pétrolières se trouvaient dans le sud. De ce fait, les Soudanais subissent une augmentation de 60% du prix des carburants ; le pays s’enlise dans une importante crise économique. En outre, des émeutes ont lieu et la répression policière qui a suivi s’est soldée par un lourd bilan de 200 morts et de plus d’un millier de blessés.

Malgré cette révolte, le Président Omar el-Béchir est réélu en 2015 dans des conditions mystérieuses selon l’opposition. En 2018, le FMI réclame la mise en place d’un plan d’austérité au Soudan afin de redresser économiquement le pays. Mais la conséquence directe de ce plan est alors l’augmentation des prix des matières premières. Le prix du pain est triplé. Dans un premier temps, les Soudanais protestent contre les conditions de vie qui se détériorèrent. Puis, cette contestation se mue rapidement en une contestation contre le régime en place.

Pour éviter toute exaction, et se sentant en danger, Omar el-Béchir décrète l’état d’urgence en février 2019 et limoge son Gouvernement. Malgré une baisse des manifestations en mars 2019, l’armée n’accorde plus sa confiance au Président et décide de le renverser par un coup d’État. Selon les sources officielles, 49 personnes auraient été tués depuis février.

Un manifestant soudanais embrasse un militaire à Khartoum. (Crédit photo : AFP)

Un avenir incertain

Si la destitution du Président Omar el-Béchir a permis des scènes de liesse, nombreux sont les sceptiques sur le sort à venir du Soudan, en commençant par l’Alliance pour la liberté et le changement. Dans un communiqué, cette coalition, composée de partis d’opposition, a dénoncé que « le régime a mené un coup d’État militaire en présentant encore les mêmes visages (…) contre lesquels notre peuple s’est élevé ». De ce fait, les meneurs de cette coalition appellent à la poursuite des manifestations. Dès le lendemain des annonces, nombreux Soudanais sont restés mobilisés en dénonçant « une photocopie du régime ». De plus, malgré les deux mandats d’arrêts internationaux émis par la Cour pénale internationale en 2009 et 2010 à son encontre, Omar el-Béchir ne sera pas « livré à l’étranger » a déclaré le Conseil militaire nouvellement installé.

Le 12 avril 2019, devant le ministère de la Défense à Khartoum, certains soudanais poursuivent leur sit-in pour protester contre la prise du pouvoir par l’armée. (Crédit photo : Stringer – Reuters)

Moussa Faki, Président de la Commission de l’Union africaine, a lui aussi fait part de son inquiétude s’agissant de la prise du pouvoir au Soudan par l’armée. Il estime que ce coup d’État « n’est pas la réponse appropriée aux défis auxquels est confronté le Soudan et aux aspirations de son peuple ». En outre, les États-Unis et l’Union européenne ne condamnent pas directement ce coup d’État militaire mais réclament à l’armée soudanaise un transfert rapide du pouvoir aux civils. Yasir Abdelsalam, ambassadeur du Soudan à l’ONU, n’a cessé de marteler, devant le Conseil de sécurité des Nations Unis, que le Conseil militaire de transition au Soudan « ne gouvernera pas, il se contentera d’être le garant d’un gouvernement civil qui sera formé en collaboration avec les forces politiques et les parties prenantes ». Il a ajouté que la période de transition pourra être réduite « en fonction des développements sur le terrain et l’accord des parties prenantes ».

Parallèlement, la destitution d’Omar el-Béchir serait susceptible de changer les relations entre le Soudan et ses voisins, notamment avec le Tchad qui, selon certains politologues, pourrait voir apparaitre de nouvelles tensions au niveau du Darfour avec la recrudescence de certains groupes rebelles.