Lorsque le 6 janvier 2021, les États-Unis – et le monde – ont assisté, stupéfaits, à l’émeute insurrectionnelle au Capitole des États-Unis, le choc était double. L’insurrection était d’abord le spectacle tragique d’une manifestation qui avait clairement basculé dans la violence. Mais elle était aussi un choc historique : les événements d’ampleur comparables qui ont pu toucher siège du Parlement des États-Unis, véritable temple de la démocratie américaine, sont rarissimes dans l’Histoire.
Lancé en 1793 pour accompagner la naissance des États-Unis d’Amérique, la construction de la forme initiale du Capitole s’achève en deux temps : en 1800 pour l’aile nord abritant le Sénat et en 1811 pour l’aile Sud abritant la Chambre des représentants.
Aujourd’hui encore, aucun bâtiment de Washington n’est autorisé à dépasser la hauteur du dôme de l’édifice : le Capitole est véritablement le cœur de la démocratie américaine. Cette mise en perspective faite, livrons-nous à une comparaison des deux chambres du Congrès américain : la Chambre des représentants et le Sénat.
Deux chambres, deux représentations
Le critère de distinction le plus fondamental qui puisse exister entre la Chambre des représentants et le Sénat est avant tout celui du mandat confié aux parlementaires. En effet, les représentants sont élus pour 2 ans et représentent le peuple américain en étant élus dans des circonscriptions locales. Les sénateurs sont élus pour 6 ans et représentent les États fédérés en étant élus à l’échelle de ces mêmes États (les États-Unis étant une fédération de 50 États).
La conséquence de cette distinction se retrouve dans le nombre de parlementaires : à la Chambre des représentants, chaque États est représenté par un nombre de représentants proportionnel à la population de son État. Ainsi, l’État le plus peuplé du pays qu’est la Californie compte 53 représentants sur les 435 qui composent la chambre alors que l’État le moins peuplé (le Wyoming) ne compte qu’un seul représentant.
Le Sénat est en revanche censé représenter également tous les États fédérés. En conséquence, la chambre haute est composée de 100 sénateurs : 2 par États. Cela assure une égale représentation de la Californie (presque 40 millions d’habitants) et du Wyoming (moins de 600 000 habitants).
Cette nécessité d’accéder au rang d’État pour voir ses représentants accéder au Congrès pose toutefois des difficultés démocratiques. En effet, le district de Columbia qui abrite la capitale fédérale Washington n’est pas un État à proprement parlé et n’est donc représenté par aucun représentant ni sénateur alors même que le district est plus peuplé que les États du Vermont et du Wyoming.
Mais si la Chambre des représentants et le Sénat se distinguent par leurs missions de représentations, leurs membres respectifs suivent en revanche la même organisation partisane. Chaque chambre est divisée en deux groupes correspondant aux deux partis qui dominent la politique américaine : le parti démocrate et le parti républicain. Chaque groupe de chaque chambre est mené par un majority (ou minority) leader qui peut s’appuyer sur un whip, c’est-à-dire un parlementaire chargé d’obtenir l’assurance des votes nécessaires au passage d’une loi ou d’une nomination.
La Chambre des représentants est présidée par un speaker qui est un parlementaire désigné à la majorité simple par la chambre. Le speaker est donc en général le leader du parti majoritaire qui laisse sa place à un autre parlementaire (actuellement, la démocrate Nancy Pelosi préside la chambre basse).
Au Sénat en revanche, ce n’est pas un sénateur mais le vice-président des États-Unis (actuellement la démocrate Kamala Harris) qui préside la chambre haute. Mais ce dernier n’assumant effectivement ces fonctions que rarement, il est généralement remplacé par un président pro tempore qui est le sénateur du groupe majoritaire étant en poste depuis le plus longtemps (actuellement le démocrate Patrick Leahy, sénateur du Vermont depuis plus de 46 ans).
Il faut noter que le fait que le Sénat soit présidé par le vice-président est fondamental puisque ce dernier est invité à voter pour départager un vote à égalité. Or, depuis janvier, le Sénat est également divisé entre 50 sénateurs démocrates et 50 sénateurs républicains et la vice-présidente Kamala Harris pourrait être régulièrement amenée à apporter sa voix pour atteindre la majorité de 51 voix.
Des philosophies particulières
La Chambre des représentants et le Sénat sont les deux chambres du Congrès américain et ont donc la mission de faire et voter la loi. Mais le Sénat se distingue de la Chambre de représentants dans cette mission par quelques aspects.
D’abord, le Sénat est la seule des deux chambres du Parlement à avoir le pouvoir d’approuver les nominations à des postes fédéraux faites par le pouvoir exécutif, c’est-à-dire le pouvoir détenu par le Président américain et son administration.
Ainsi par exemple, l’ensemble des membres du cabinet présidentiel (l’équivalent de ministres bien que dotés de moins de pouvoirs) sont nommés par le Président mais doivent être confirmés par le Sénat, c’est-à-dire obtenir une majorité des votes des sénateurs, pour pouvoir entrer en fonction. Pendant ce processus, les nominés doivent répondre aux questions de la commission du Sénat relative à leur mission et les convaincre de sa capacité à assurer celles-ci.
Le même processus de nomination s’applique pour d’autres emplois fédéraux parmi lesquels les juges à la Cour suprême des États-Unis.
Mais au-delà de son pouvoir de confirmation aux emplois fédéraux, le Sénat se distingue aussi de la Chambre des représentants par une pratique étonnante mais récurrente et absolument centrale dans son action : le filibuster.
Le filibuster est une pratique qui n’existe qu’au Sénat et qui est basée sur le fait que les sénateurs ne doivent pas pouvoir être interrompus lorsqu’ils prennent la parole. Ainsi, de nombreux sénateurs de l’opposition cherchant à retarder le vote d’un texte par exemple vont se lancer, seuls ou à plusieurs, dans un filibuster, c’est-à-dire dans un discours continu afin d’empêcher le vote du texte.
Le record du filibuster individuel est ainsi détenu par le sénateur démocrate Strom Thurmond qui a parlé durant 24 heures et 18 minutes pour empêcher le vote du Civil rights Act de 1957. Pris collectivement, le record est détenu par un groupe de 5 sénateurs (dont ce même sénateur Thurmond) en 1964 qui se sont relayés et n’ont été interrompus qu’après près de 60 jours, une fois un compromis rassemblant près de 71 sénateurs trouvé.
Le filibuster est une arme redoutable pour l’opposition puisqu’il est, dans la plupart des cas, requis une majorité de 60 sénateurs pour y mettre un terme, ce qui implique généralement d’obtenir des votes de cette même opposition. Mais ces dernières années, on a assisté à des tentatives de limitation du flibuster qui peut désormais être renversé à la majorité simple pour les votes de nomination aux emplois exécutifs et judiciaires.
Un poids politique indéniable
L’une des conséquences directes de cette pratique du filibuster est que le Sénat est imprégné d’une forte culture – quoique détériorée ces dernières années – du consensus bipartisan. Puisque chaque vote peut se voir menacé par un filibuster, on considère parfois que la majorité requise au Sénat n’est pas de 50 sénateurs sur 100 mais de 60, nombre requis pour le renverser.
A l’inverse, la Chambre des représentants interdisant purement et simplement le filibuster, le parti majoritaire recherche moins le consensus avec le parti minoritaire.
Si les démocrates jouissent aujourd’hui d’une majorité très courte à la Chambre des représentants, cela ne menace pas leur activité. En revanche, le partage actuel du Sénat à 50-50 rend le vote de chaque sénateur démocrate absolument crucial, à peine d’empêcher le vote. Le poids du sénateur socialiste indépendant Bernie Sanders ou du sénateur démocrate très modéré Joe Manchin sont donc décuplés dans l’actuel composition du Sénat car nécessaires pour obtenir la majorité. Dans ce contexte, le président Joe Biden a fait part de son espoir de revoir le Sénat travailler dans un esprit de consensus.
Le rôle politique du Congrès s’exprime aussi par la célèbre procédure d’impeachment qui permet au Parlement de destituer tout haut fonctionnaire de l’administration fédérale, parmi lesquels le Président lui-même.
La Chambre des représentants est la seule habilitée à lancer la procédure par un vote à la majorité simple tandis que le Sénat est chargé de juger le fonctionnaire mis en accusation par la Chambre. Pour obtenir la destitution, une majorité des 2/3 des sénateurs est requise, soit le vote de 67 sénateurs. On retrouve encore dans cette procédure la forte culture bipartisane qui imprègne le Sénat alors que la Chambre se contente d’une majorité simple, acquise au parti majoritaire.
Enfin, le rôle politique des membres du Congrès est fortement impacté par la durée de leur mandat. Les représentants sont élus pour un mandat de 2 ans alors que les sénateurs sont élus pour 6 ans (le Sénat est renouvelé par tiers tous les 2 ans). Il en résulte une très forte discipline du vote à la Chambre des représentants puisque la grande fréquence des élections implique pour les représentants de satisfaire constamment leurs électeurs et de suivre la ligne de leur parti. De l’autre côté du Capitole, la plus longue durée du mandat de sénateur offre à ces derniers une plus grande liberté dans leurs choix.
Cela s’illustre bien dans la seconde procédure d’impeachment lancée contre Donald Trump suite à l’insurrection du Capitole. Les représentants républicains ont voté à une majorité écrasante contre le lancement de la procédure, soucieux de ne pas mécontenter leur électorat. Et si les sénateurs républicains ont également voté majoritairement pour acquitter l’ancien président, 6 des 7 d’entre eux ayant voté pour le condamner ne remettront pas en jeu leur siège avant 2024 ou ne se représenteront pas.
Et c’est là une constante dans la démocratie américaine qui s’exprime avec force au Congrès : les élections sont régulières et impliquent un état de campagne électorale permanente.