Fin 2016, la Commission fédérale électorale américaine publie les chiffres des dépenses engagées dans l’élection présidentielle qui s’achève alors. Les partis et candidats ont en tout dépensé près de 3 milliards de dollars dans la campagne électorale qui a débouché sur l’élection de Donald Trump, battant ainsi le record de 2,3 milliards de dollars atteint en 2012. A titre comparatif, 66 millions d’euros ont été dépensés pour l’élection présidentielle française de 2012.
Ces chiffres mettent en lumière ce qui est une caractéristique centrale des élections américaines : l’argent y est véritablement le nerf de la guerre. Il faut dire que le pays est vaste et le système électoral incite à la dépense.
A l’approche de l’élection présidentielle du 3 novembre prochain et pour en saisir tous les enjeux, coup de projecteur sur le fonctionnement des élections aux États-Unis.
Un duel entre un âne et un éléphant
Depuis la création des États-Unis d’Amérique en 1776, la vie politique est dominée par deux grands partis qui se disputent le pouvoir. Au milieu du XIXe siècle, ces deux partis vont se stabiliser avec la création du parti démocrate d’un côté et du parti républicain de l’autre. Plus ou moins officiellement, le parti républicain sera représenté dans la presse sous l’image d’un éléphant là où le parti démocrate se voit régulièrement mentionné sous les traits d’un âne agité. Depuis, ces images restent assez présentes dans la culture américaine dans l’opposition entre les deux grands partis.
Depuis près de deux siècles donc, les américains se posent en arbitre, tous les quatre ans, de la course à la présidence qui oppose l’âne à l’éléphant. Car c’est bel et bien d’une course qu’il s’agit. Une course de fond. Les élections présidentielles se préparent en effet au sein des partis généralement dans les deux années qui précèdent l’Election Day et la campagne est longue et coûteuse pour les candidats.
En effet, dans un pays où l’offre politique est enfermée au sein de deux grands partis, les courants idéologiques qui traversent chacun d’eux sont nombreux et parfois radicalement différents. C’est pourquoi chaque parti organise ses primaires, élections qui se déroulent dans chaque État du pays afin de déterminer qui sera le candidat du parti en novembre. C’est l’occasion pour les électeurs de faire leur choix parmi l’éventail idéologique qui compose leur parti d’affinité.
Après une campagne de plus de 6 mois (tous les États ne votant pas en même temps), le candidat ainsi que son colistier à la vice-présidence sont officiellement désignés lors de la convention nationale du parti durant l’été et forment dès lors le « ticket présidentiel » en campagne.
En 2016 par exemple, la primaire du parti démocrate a vu s’opposer la centriste modérée Hillary Clinton au sénateur socialiste Bernie Sanders, figure de l’aile gauche du parti. Les électeurs démocrates ont alors choisi la première, officiellement investie candidate du parti démocrate pour la présidence lors de la convention nationale. Le parti républicain suit exactement le même processus.
Ainsi, si la majorité des pays européens ont un système politique partagé entre plusieurs partis, ce n’est pas le cas aux États-Unis. Tout le jeu politique américain est constamment divisé entre ces deux puissants partis qui se partagent le pouvoir à toutes les échelles (échelon local, échelon des États et échelle nationale) depuis plus de deux siècles.
La course aux 270 grands électeurs
Comme leur nom l’indique, les États-Unis sont une union de 50 États dits « fédérés ». Chaque État dispose de pouvoirs propres en matière d’éducation ou de fiscalité par exemple tandis que l’État central (dît « État fédéral ») est en charge de la diplomatie ou de la politique militaire notamment.
De ce principe découle le fait que, tous les 4 ans, le premier mardi suivant le premier lundi de novembre sont organisées dans chaque État une série d’élections. Les électeurs sont alors appelés à choisir le président mais aussi leurs représentants au Congrès (le Parlement américain), et pour certains le gouverneur de leur État ou encore le chef de la police locale.
Le candidat arrivé en tête dans l’État remporte un nombre de grands électeurs défini en fonction de la population de l’État.
Le candidat qui parvient à rassembler la majorité des 538 grands électeurs du pays sur son nom est alors désigné président élu par ce collège électoral et prendra ses fonctions en prêtant serment le 20 janvier suivant l’élection.
L’élection du président américain ne se fait donc pas directement au niveau national comme en France, c’est une élection indirecte où le locataire de la Maison-Blanche est élu par un collège de « grands électeurs ».
Exemple : La Floride a 29 grands électeurs. Lors de l’élection du 8 novembre 2016, Donald Trump a obtenu 49% des suffrages de l’État, soit un peu plus de 100 000 voix d’avance sur sa rivale Hillary Clinton (47,8%). Donald Trump étant arrivé en tête en Floride, il a alors remporté les 29 grands électeurs de l’État sur son nom, Hillary Clinton n’en remporte aucun. Ces 29 grands électeurs ont donc voté pour Donald Trump lors de l’élection du président américain par le collège électoral en décembre.
Pour être élu président des États-Unis, il n’est donc pas nécessaire d’obtenir la majorité des suffrages mais bien d’obtenir les 270 grands électeurs permettant l’investiture par le collège électoral.
Ainsi, en 2016, si la candidate démocrate Hillary Clinton a obtenu près de 3 millions de voix de plus que son adversaire républicain Donald Trump au niveau national, ce dernier a obtenu 304 grands électeurs, soit la majorité nécessaire à sa nomination à la Maison-Blanche.
Notons qu’à chaque élection, certains candidats se présentent sous une autre étiquette mais l’assise de deux grands partis est si importante que leur victoire dans un seul État est devenue aujourd’hui assez improbable.
Ce système électoral très particulier induit un système de campagne tout aussi particulier puisque celles-ci se concentrent sur un petit nombre d’États appelés « swing states ». Par exemple, la Californie (55 grands électeurs) étant un État largement acquis aux démocrates, il est délaissé de la campagne. En revanche, la Floride (29 grands électeurs) est un « swing state », c’est-à-dire qu’il bascule facilement du côté républicain ou du côté démocrate en fonction des élections. Les candidats concentrent alors leurs moyens (meetings, publicités télévisées, porte à porte …) sur ces États cruciaux pour tenter de les faire basculer en leur faveur.
Quels enjeux pour l’élection de 2020 ?
L’élection du 3 novembre verra s’affronter le président républicain sortant Donald Trump et l’ancien vice-président démocrate de Barack Obama, Joe Biden.
Le président Donald Trump a, par sa victoire en 2016, opéré une forme de glissement du parti républicain vers une ligne isolationniste et plus conservatrice. Joe Biden s’efforce alors de rassembler le plus largement possible, de la jeunesse démocrate progressiste qui a soutenu Bernie Sanders lors de la primaire jusqu’aux partisans républicains traditionnels hostiles à Donald Trump, en passant par le cœur centriste modéré du parti démocrate.
L’enjeu est donc grand car si Donald Trump attise l’aversion d’une partie de la population, il jouit d’une base électorale solide et mobilisée tandis que Joe Biden doit essayer de rassembler sur son nom des franges de l’électorat aux socles idéologiques extrêmement différents, voire inconciliables.
Les nombreux sondages donnent une avance claire à Joe Biden au niveau national mais, on l’a vu, l’élection du président américain se joue bel et bien au niveau des Etats et la seule préoccupation des candidats est d’arriver à rassembler les 270 grands électeurs, sésame pour accéder à la Maison-Blanche.
Les swing states sont pour la plupart déjà identifiés : les États industriels du Nord-Est américain (Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie notamment), tous remportés d’une courte avance par Donald Trump en 2016 constitueront le principal champ de bataille de cette élection, les démocrates espérant reconquérir certains de ces États. La Floride, traditionnel swing state ainsi que certains bastions républicains qui pourraient basculer (comme l’Arizona ou la Caroline du Nord) seront également convoités dans la course aux 270 grands électeurs.
Mais les élections américaines sont réputées imprévisibles et riches en rebondissements et s’il est une certitude, c’est bien celle que l’édition 2020 ne fait exception à la règle.