21 avril 2019. Scènes de liesse à Kiev. Avec près de 72% des voix, le triple de son adversaire, Volodymyr Zelensky passe de Président de la République d’Ukraine à Président de la République d’Ukraine. La seule différence, c’est qu’auparavant, il l’était dans une série télévisée appelée Serviteur du Peuple, et qu’aujourd’hui il l’est au nom d’un parti appelé Serviteur du Peuple. Tiraillé entre inexpérience et popularité exceptionnelle, découvrons comment Volodymyr Zelensky est devenu le nouveau Président de la République d’Ukraine !

Une Ukraine rongée par la corruption

Lorsqu’on parle de corruption, la référence est le Corruption Perceptions Index (CPI) de Transparency International, une organisation qui lutte contre la corruption sous toutes ses formes (notamment le conflit d’intérêts). L’index fonctionne selon un système de 0 à 100, 0 étant la corruption totale et 100 la transparence absolue. En 2018, le score de l’Ukraine était de 32/100, contre 43/100 de moyenne internationale. A titre comparatif, la France affichait un score de 72/100 à la même époque. L’Ukraine, avec un score de 32/100, se plaçait au même rang que le Mali (pays en guerre) et que le Malawi (un PMA). La ville symbole de cette corruption est Odessa, au bord de la Mer noire, où la corruption a pris, selon ses habitants, la forme d’une véritable mafia, qui s’approprie et exploite à plus ou moins grande échelle les biens publics.


Manifestation devant le palais présidentiel de Kiev pour dénoncer la tentative d’assassinat d’un Militant anti-corruption à Odessa le 27 septembre 2019 (Crédit photo: RTBF.be)

Une série étrangement réaliste

La série Serviteur du Peuple “imaginait”, dans une Ukraine rongée par la corruption, un professeur d’Histoire qui, ayant été filmé à son insu en train de dénoncer la classe politique, se retrouve par le jeu du hasard propulsé au poste de Président de la République, et qui axait toute sa politique sur la lutte contre la corruption, l’honnêteté et la transparence (à la façon de Designated Survivor). À peu de chose près, c’est de cette façon que s’est présenté Zelensky. Un candidat anti-système, venu de la société civile pour abattre le régime, avec cette formule choc “Je suis là pour casser le système. Je ne suis pas votre opposant, je suis votre condamnation”, qui a violemment atteinte le Président sortant, Petro Porochenko.

En Ukraine, comme dans beaucoup d’autres pays à travers le monde règne une certaine forme de lassitude face à la politique, qui trouve ses racines dans les désillusions de la Révolution de 2014 qui n’a pas permis une alternance politique claire ni une lutte plus efficace contre la corruption. La série Serviteur du Peuple était pour beaucoup d’Ukrainien un “fantasme politique”, de même que de son côté Zelensky n’apprenait au fur et à mesure plus ses textes pour laisser parler son énergie, du moins selon ses partisans.


Affiche officielle de la première saison de Serviteur du Peuple. (Crédit photo: franceinfo)

Une campagne surréaliste

Lancée le 31 décembre 2018 à minuit, la campagne de Zelensky a été composée essentiellement de messages vidéos sur les réseaux sociaux, et a été analysée par beaucoup d’analystes politiques comme une volonté de brouiller les pistes entre le personnage de fiction et l’homme qui est derrière, un phénomène dont l’exemple le plus notable est le nom de son parti, Serviteur du Peuple. Néanmoins, le côté atypique de la campagne a aussi résidé dans la manière dont elle a été menée.

Ainsi, le 19 avril, devant pas moins de 60 000 personnes, Zelensky et Porochenko se sont livrés à un débat mi-politique mi-théâtral dans le stade olympique de Kiev, avec des phrases qui tournaient parfois à l’insulte gratuite et à la diffamation, où se sont distingués d’une part un Président sortant à l’aise sur ses dossiers, et d’autre part un candidat touchant de probité. C’est là tout le paradoxe de l’Ukraine, le pays est doté de politiciens expérimentés, de projets, d’ambitions mais qui manquent d’honnêteté.


Stade olympique de Kiev où a eu lieu le débat présidentiel du 19 avril (Crédit photo: Le Monde)

Le dur coût de l’inexpérience

On l’aura dit, Volodymyr Zelensky est un Président Ukrainien jeune (41 ans), en apparence honnête mais inexpérimenté, et c’est là la principale inquiétude à son propos. Si beaucoup louent sa fraîcheur, son ambition, sa probité, d’autres s’inquiètent de son manque de connaissance et du fait qu’il semble être en permanente découverte de ses dossiers, surtout que son “innocence” est remise en cause.

En effet, dès janvier des journalistes d’investigations avaient révélé que Zelensky détenaient en Russie des sociétés de production gérées par des sociétés offshore basées à Chypre, ce qui avait conduit le candidat à des promesses publiques de vente de ses parts; un premier coup d’alerte auquel s’est rapidement ajouté le fait que Zelensky est lié à un oligarque Ukrainien, Igor Kolomoïski. Une partie des opposants au nouveau Président l’ont ainsi accusé, tout au long de sa campagne de n’être, une fois de plus, qu’un pantin à la solde des oligarques…


Montage d’Igor Kolomoïski sur le dos de Volodymyr Zelensky (Crédit photo: franceinfo)