Après 2 jours d’une visite très commentée en Égypte, le Président de la République a quitté ce mardi le tarmac de l’aéroport du Caire, avec en main de nouveaux contrats et de nombreuses promesses. État stratégique dans le développement économique comme dans la lutte contre le terrorisme, l’Égypte est un allié de poids en Afrique du Nord. Le pays reste toutefois gouverné par un dirigeant autoritaire, et cette coopération pose une nouvelle fois la question du respect des droits de l’Homme et de la liberté d’expression, dans un État dont le premier fournisseur d’armes est aujourd’hui la France.

Une ambition économique

Cette visite en Égypte est avant tout, pour le Chef de l’État, l’occasion de réaffirmer ses aspirations quant au développement des relations bilatérales de la France avec un pays qui, à l’heure actuelle, est considéré comme un îlot de stabilité dans une Afrique où les échanges économiques restent complexes à développer.

Après une première visite du Ministre de l’Économie, il y a une semaine, Emmanuel Macron s’est attaché à séduire les entreprises françaises souhaitant installer des bureaux en Égypte. Il faut dire que le pays à fait, depuis 2014, des efforts significatifs dans la dévaluation de la devise nationale et dans la réduction des subventions étatiques, qui lui ont permis de toucher, en 2016, un prêt de 12 milliards de dollars sur 3 ans, versé par le FMI. Cette politique est toutefois décriée, et ne permet pas au pays de sortir de l’impasse économique. On observe au contraire une paupérisation des milieux les plus défavorisés.


Le Président de la République reçu par son homologue égyptien, le Maréchal Abdel Fattah al-Sissi, le lundi 28 janvier, avant un entretien privé et la signature de plusieurs contrats. Source: AFP

Durant cette visite, le Président français, accompagné de 4 ministres et de nombreux chefs d’entreprise, a signé une trentaine de contrats divers pour relancer l’économie. Parmi ces projets d’envergure, la création de 5,6 km de tunnel pour le Métro du Caire, la construction de parcs éoliens, mais aussi un partenariat culturel renforcé. L’ensemble de ces accords est estimé à près d’un milliard d’euros.

Accueilli en grande pompe sous une salve de 21 coups de canon, le tapis rouge déroulé, Emmanuel et Brigitte Macron ont eu l’occasion de découvrir des sites culturels majeurs du pays, comme le Temple d’Abou Simbel, sied sur le Nil, et symbole du défi archéologique égyptien. Dans le domaine, la coopération entre la France et l’Afrique a bien évolué, depuis XIXème siècle et Champollion. Aujourd’hui, c’est 32 chantiers qui sont menés dans des sites historiques, par l’Institut français d’archéologie orientale, et Paris ambitionne de participer au projet de rénovation du mondialement célèbre Musée égyptien, et à la construction d’un Grand Musée à Gizeh, au pied des Pyramides.

Enfin, dans une tout autre perspective, la vente d’armes à l’armée égyptienne est aussi un pilier du partenariat entre les deux pays. Depuis 2015, Le Caire a passé de nombreuses commandes, pour un montant total estimé à 6 milliards d’euros. Il s’agit notamment de la vente de 24 Rafales, et des deux navires Mistral, livrés en 2016. Des négociations sont actuellement en cours pour une acquisition égyptienne de 12 nouveaux avions, mais ce sujet n’a pas été évoqué publiquement durant la visite.

Lutter contre le terrorisme: « une priorité »

Les ventes d’armes aux forces égyptiennes ont un objectif affiché: contrer la menace terroriste que représente Al-Qaïda et Daech. Depuis la vague d’attentats en France en 2015, et avec Jean-Yves Le Drian, actuel chef de la diplomatie française, un « partenariat stratégique » a été établi. Il permet d’éviter l’arrivée sur le Vieux Continent de terroristes islamistes, et permet à l’Égypte de lutter plus efficacement contre ces groupes armés qui commentent de nombreuses attaques, notamment dans la région du Sinaï.

La Cathédrale Saint-Marc, le 9 avril 2017, dévastée après qu’une explosion ne fasse 22 morts, en pleine messe des rameaux. Quelques heures plus tôt, une autre église avait été visée, toujours par l´État Islamique, par une explosion qui avait fait 30 morts. Source : AFP.

Dans une perspective d’apaisement, Emmanuel Macron a également rencontré le Pape copte Tawadros II, dont la communauté est régulièrement victime d’attaques violentes. Prônant le « dialogue entre les religions », il a ensuite rendu visite à Ahmed al-Tayeb, Grand Imam sunnite, pour parler de « la place de l’islam dans le monde et plus particulièrement en France ».

Des droits de l’Homme bafoués

Les échanges économiques et l’élaboration des politiques sécuritaires ont eu, pour toile de fond, l’épineuse question des libertés, dans une Égypte où les droits fondamentaux ne sont factuellement pas respectés.

Aussi, malgré l’absence de déclarations orales sur le sujet, le Président français ne fait pas fi de ces abus, surtout lorsqu’il signe des contrats de vente d’armes aux autorités. Il est alors probable que de longs pourparlers est eu lieu dans le huit clos du Palais Président d’el-Orouba, entre les diplomates d’Al-Sissi et la délégation française. D’ailleurs, le Quai d’Orsay est très clair: « ce dialogue sur les droits de l’Homme est une partie intégrante de notre partenariat stratégique ». Autrement dit, des exactions répétées de la part du gouvernement égyptien pourraient mettre fin à cette coopération économique inédite.

Toutefois, les dérapages des autorités égyptiennes existent déjà, avec de nombreux exemples d’atteintes aux droits de l’Homme dans tout le pays. Il y a une semaine, Mohamed al-Gheiti, présentateur vedette de la chaîne de télévision privé LTC, a été condamné à une mise sous surveillance d’un an. Il avait interviewé un travailleur du sexe et débattu avec lui de l’homosexualité. S’il s’était déjà montré hostile envers la communauté LGBT, le journaliste a tout même été jugé coupable d’avoir promu cette orientation sexuelle, dérogeant aux règles religieuses en place dans le pays. Il s’agit là d’un exemple parmi d’autres du bafoument de la liberté d’expression en Égypte. À ce jour, on estime qu’une trentaine de journalistes et de blogueurs sont retenus dans les prisons du pays, à cause de leurs publications notamment.

Plus largement, et depuis l’arrivée au pouvoir du Maréchal al-Sissi en 2013, 60 000 personnes auraient été abusivement arrêtées, systématiquement torturées, et privées de leur liberté, selon l’ONG Human Rights Watch. Devant ces chiffres chaque année plus alarmants, le Chef de l’État doit évoquer avec son homologue égyptien « des situations individuelles ». L’exemple le plus médiatisé en France est sans doute celui d’Éric Lang, un enseignant nantais battu à mort dans des circonstances obscures au sein même d’un commissariat cariote, en 2013. Aujourd’hui, sa famille demande à Emmanuel Macron d’évoquer avec le président al-Sissi cette affaire, mais impossible de savoir si, durant cette visite, les deux hommes se sont bien entretenus sur le sujet. On sait toutefois que le Président français a déjeuné avec des membres de la société civile égyptienne, particulièrement « actifs dans les domaines de la protection judiciaire des détenus, la liberté de la presse, l’égalité femmes-hommes et la défense des enfants ». L’Élysée n’a pas souhaité préciser les noms de ces personnalités.